Ambassadeurs santé mentale auprès des jeunes : dé-stigmatisation et prévention par le pair-à-pair
L’Institut régional Jean Bergeret, établissement de la Fondation ARHM, a créé en 2019 à Lyon le programme “Ambassadeurs santé mentale auprès des jeunes”, mené en partenariat avec l’association Unis-Cité. Aujourd’hui, en Auvergne-Rhône-Alpes, ce sont 26 jeunes en service civique qui vont à la rencontre de jeunes de leur âge pour leur parler de santé mentale, dans une démarche de prévention et de médiation.
Le projet “Ambassadeurs santé mentale” repose sur le principe du pair-à-pair, outil de médiation mis ici au service de la prévention : il mobilise des jeunes en service civique pour aller vers d’autres jeunes, de 15 à 25 ans, et parler de santé mentale. Ils vont à leur rencontre dans divers types de structures : CROUS*, Foyers de jeunes travailleurs, CHRS*, centres sociaux, lycées, Missions locales… Pour Jérôme Rastello, coordinateur du service Intervention et Accompagnement de l’Institut Jean Bergeret, “la santé mentale est un domaine large qui va du bien-être mental jusqu’aux troubles psychologiques. À l’Institut, il est dans notre ADN de dé-stigmatiser la santé mentale et les maladies psychiques. Lever le tabou et les préjugés, c’est une cause fondamentale pour notre équilibre à toutes et tous. Il nous paraissait très important d’engager les jeunes dans cette démarche.” Un point de vue partagé par Claire Bleton-Martin, docteur en Sciences de l’Éducation, fondatrice et directrice de l’école l’Année Lumière, à Lyon, qui accueille des ambassadeurs dans son établissement : “On ne parle pas de santé mentale dans nos systèmes scolaires, ni même parfois en tant que parents. C’est un tabou auquel on associe des représentations fortes. Pour beaucoup, aller voir un psy c’est pour les fous, la maladie mentale c’est pour la vie… À l’Année Lumière, on parle librement des sujets liés à santé mentale. Il peut s’agir de questions liées au sommeil, au stress, ou encore aux addictions (écrans, tabac, alcool, drogues…). L’intervention des ambassadeurs nous permet d’offrir aux jeunes un espace de parole où ils sont entre eux.”
“La formation aux premiers secours nous a apporté des connaissances très concrètes”
Concrètement, les ambassadeurs se déplacent généralement en binôme pour des cycles de plusieurs sessions avec des groupes de 15 à 20 jeunes. À l’Année Lumière, Claire Bleton-Martin échange avec eux en amont, leur expose le contexte, leur facilite l’organisation… mais les laisse intervenir seuls. Pour cela, les jeunes en service civique ont été formés par l’Institut Bergeret. Maïssa Fadhlaoui, titulaire d’une licence en psychologie et ambassadrice en 2019-2020, raconte : “Nous étions très entourés et encadrés par l’Institut Bergeret qui nous a donné les clés pour parler avec les jeunes. Nous avons notamment suivi une formation aux premiers secours en santé mentale. J’arrivais confiante mais j’ai plus appris en pratique qu’en 3 ans de licence en psychologie parce que cela nous a permis de voir, d’être dans le concret, sur le terrain”.
On espère déclencher le premier pas pour ceux qui ont besoin d’aide.
Lou Millet, ambassadeur en 2020-2021, confirme : “La formation aux premiers secours en santé mentale nous a apporté des connaissances très concrètes. Puis, tout au long de l’année nous avons rencontré des professionnels, des psychologues, visité des lieux ressource et des lieux d’écoute : foyer, Point accueil et écoute jeunes, Maison des adolescents… On a commencé la mission en janvier, le temps de se former mais aussi de construire nous-mêmes nos interventions, notre “séance-type”. Avec mon groupe, nous proposions un cycle de 4 séances : la dé-stigmatisation des troubles psychiques pour introduire la santé mentale et entamer le dialogue, les addictions, la confiance en soi et la gestion du stress. Nous nous adaptions aussi en fonction des sujets que les jeunes souhaitaient aborder.”
“On leur dit et on leur répète : il n’y a pas de mal à prendre soin de sa santé mentale autant que de sa santé physique”
Pour Claire Bleton-Martin, les bénéfices de ces interventions sont évidents : “C’est plus facile de parler avec des jeunes du même âge. Cela leur permet de se dire des choses, de renforcer leurs liens en tant que groupe aussi, de se comprendre, de s’ouvrir aux autres. Individuellement, cela les invite surtout à une plus grande vigilance sur leur propre santé mentale mais aussi celle de leurs proches. Ils peuvent mieux auto-évaluer leur état de santé mentale, que cela les amène à relativiser ou à passer à l’action si quelque chose coince. C’est très sain.” Les ambassadeurs deviennent ainsi un pont avec les professionnels, comme l’explique Maïssa Fadhlaoui : “On leur dit et on leur répète : il n’y a pas de mal à prendre soin de sa santé mentale autant que de sa santé physique, il s’agit juste de prendre soin de soi. Un de nos rôles est de les informer sur les lieux et personnes ressources vers lesquels ils peuvent se tourner s’ils en ressentent le besoin. Malgré mon année de licence, avant de rejoindre le projet je ne savais pas que l’on pouvait voir un psychologue gratuitement ! Les jeunes que l’on rencontre, eux non plus, ne le savent pas. Nous ne sommes pas des professionnels mais on dédiabolise, on écoute, on recueille, on aide, on oriente. Et on espère déclencher le premier pas pour ceux qui ont besoin d’aide.” Une position que relève Claire Bleton-Martin : “Je suis sidérée de la justesse de leur posture. Je n’assiste pas aux séances mais je le vois en dehors quand on fait le bilan, qu’ils m’interpellent, posent des questions… ils sont dans le respect de ce qui s’est dit en séance, dans le respect de la déontologie, mais savent remonter exactement ce qu’il faut”, ajoute Claire Bleton-Martin.
“C’était le but de mon service civique : faire un acte citoyen et me rendre utile”
Pour certains ambassadeurs, cette expérience a confirmé une vocation. C’est le cas de Maïssa Fadhlaoui et de Lou Millet. “J’ai adoré, ça a d’ailleurs totalement orienté mon parcours. J’ai démarré un master de psychologie sociale dans le but d’intervenir auprès des jeunes”, raconte Maïssa. Pour Lou, “c’était le but de mon service civique : faire un acte citoyen et me rendre utile. J’ai vraiment eu le sentiment de servir à quelque chose. Cela m’a apporté beaucoup dans mon parcours aussi. J’ai beaucoup aimé mes années de licence en psychologie mais c’était très théorique. Je n’avais jamais fait de stage, il n’y a pas d’alternance… Être ambassadeur m’a apporté une expérience très pratique. J’espère intégrer un master en psychologie clinique mais c’est très demandé. En attendant, ce service civique m’a ouvert au monde associatif et je suis aujourd’hui bénévole pour une association qui s’adresse aux personnes en détresse et qui m’a formé à l’écoute active.”
“Nous avons réfléchi très tôt aux modèles d’essaimage possibles”
Après trois années et trois promotions d’ambassadeurs, l’Institut régional Jean Bergeret a pour ambition d’essaimer le projet. “En réalité on y pense depuis le début”, précise Jérôme Rastello. “Dès le démarrage nous avions des échos positifs de la part des professionnels de santé, des éducateurs, des travailleurs sociaux… Ce projet combinant la prévention et le repérage en santé mentale, par le pair à pair et avec des jeunes en service civique, interpellait beaucoup toutes nos parties prenantes : professionnels, financeurs, partenaires opérationnels… On a senti très rapidement qu’on avait mis le doigt sur quelque chose qui pouvait être très complémentaire de l’offre existante. Sentant cette dynamique, nous nous sommes dit qu’il ne fallait pas tarder à penser le “comment dupliquer”. Par expérience, nous savons que cette réflexion doit se faire tôt dans un projet. Forts des accompagnements dont nous avons pu bénéficier – la Fondation nehs pour l’évaluation d’impact, Prevent2care, Ronalpia… – nous avons alors réfléchi très tôt aux modèles d’essaimage possibles. Et nous en avons retenu deux : la duplication et la fertilisation pour partager notre méthodologie avec d’autres acteurs grâce au modèle de franchise sociale.”
Concrètement, côté duplication, l’Institut a déployé le projet dans quatre territoires de la Région Auvergne Rhône-Alpes (Rhône, Isère, Loire et Puy de Dôme) et a pour ambition de le développer à terme dans les 12 départements de la région. Côté fertilisation, une “marque” commune “Ambassadeurs santé mentale” a été créée pour partager les savoir-faire, les outils, les ressources, les dispositifs et modes d’action… avec d’autres acteurs. “Ce modèle va nous stimuler pour aller chercher des choses innovantes et faire évoluer le projet en nous enrichissant mutuellement”, précise Jérôme Rastello. Une expérimentation est déjà en cours avec l’association Oeuvre Falret en région parisienne : une promotion d’une dizaine d’ambassadeurs agit en Seine-Saint-Denis depuis décembre 2021 et une autre sera lancée en septembre 2022 à Paris.
* CROUS : Centre régionaux des œuvres universitaires et scolaires
CHRS : Centre d’hébergement et de réinsertion sociale
Pourquoi nous soutenons ce projet ?
Le projet « Ambassadeurs santé mentale auprès des jeunes » montre toute la puissance du pair à pair pour les actions de prévention et de sensibilisation. Il a un impact fort sur l’ensemble des bénéficiaires : les 15-25 ans bien sûr – qu’ils soient en service civique ou qu’ils assistent aux sessions – mais aussi, indirectement, l’ensemble des professionnels de santé et de l’éducation qui changent de regard sur la santé mentale des jeunes et questionnent leurs pratiques pour mieux les accompagner.
Ce projet, qui a la confiance de la Fondation depuis ses débuts, connaît aujourd’hui une phase d’essaimage exponentiel et fait preuve de beaucoup d’innovation dans son modèle de changement d’échelle, inspirant pour nombre d’associations.